Nous voilà de retour à la guesthouse après deux jours dans la vallée de la Nam Fuang. Nous ramenons enfin beaucoup de topo et c’est fourbus, sales et poussiéreux mais très fiers de nous que nous retrouvons bruyamment nos camarades d’aventure à qui nous piaffons d’impatience de raconter nos découvertes.
Tout a commencé il y a deux jours sur la route de Ban Napho, chacun de nous doit conduire sa mobylette entre les ornières des 90 kilomètres de pistes qui relient notre objectif de Kasi. JB porte Adrien en passager, ce qui l’oblige a des prodiges de pilotage pour le faire sans tomber. Il nous est nécessaire de descendre et marcher à côté de la mob dans certains passages particulièrement raides et recouverts de 20cm de poussière.
5 heures plus tard, je découvre au détour d’un ultime virage dans la montagne, la vallée de la Nam Fuang. Vision de carte postale, la rivière serpente entre les carreaux de rizière. Des montagnes nous encerclent de partout.
Nous passons la nuit au village de Ban Nam Fuang. Nous avons négocié la pirogue pour nous rendre à la grotte dès 6h du matin. Notre hôte d’un soir a déjà hébergé JB et Clément lors de leur visite de reconnaissance. Leur passage semble lui avoir permis d’acheter un lino flambant neuf qui recouvre à présent le sol entier de sa maison. Avec ce que nous lui lâchons cette fois, il part à un mariage et nous plante là sous la surveillance d’une jeune fille du village qui est en cuisine. La nuit se passe sous la moustiquaire, côte à côte sur des matelas. Luxe absolu après ces kilomètres de moto.
A 6h30 il est de retour et bien que pas très frais, nous le suivons jusqu’à la pirogue après un café soluble vite avalé. Le prof d’anglais du village nous accompagne et sert d’interprète avec le chauffeur de pirogue. 1h30 de trajet avec des rapides qui obligent le pilote et son assistant de l’avant à zigzaguer entre les roches, les arbres tombés et parfois même à descendre pousser le bateau. Les flots se calment après un dernier virage et le porche de 30 mètres de haut de la grotte de Tam Nam Fuang se dévoile à nous, dégoulinant de stalagtites, béant, noir et profond, impressionnant.
Nous déjeunons à l’entrée dans une cabane de pêcheur sur pilotis entourés par le bourdonnement de centaines d’abeilles. Clément s’est fait piquer il y a peu au pouce mais celles-ci semblent calmes et bienveillantes.
Nous attaquons la topograpie dans la foulée. JB et Adrien se chargent de la partie remontante et sèche. Clément et moi topographions la rivière en bateau. Le piroguier se rend à la rame de point topo en point topo. Nous enchainons les visées de 70 mètres sous un plafond mesuré jusqu’à 88 mètres de haut. Le jour perce le plafond en plusieurs endroits. Sa lumière vient lécher les colonnes de calcites géantes. Nous croisons un affluent temporairement sec reconnaissable à la calcification particulière de la roche. Après 1 854 mètres nous butons sur le siphon. Le jour perce au travers d’un cahot rocheux que nous escaladons après avoir sauté de la pirogue. Tout en topotant ce diverticule, nous nous extrayons au milieu de la jungle dans un porche remontant . Nous sommes en fait au milieu d’un effondrement style Padirac. La roche nous entoure. Impossible de sortir de là sans escalader 80 mètres de verticale. Nous marchons sur les pierres effondrées du plafond au cœur d’un puits de 300 mètres de diamètre. La forêt a colonisé l’endroit. Une vraie forêt vierge de magazine avec des papillons énormes, des arbres pourris sur lesquels poussent des champignons colorés, des lianes et en face de notre trou de sortie : une nouvelle grotte !
Nous nous engouffrons entre les colonnes et les gours asséchés de cette partie fossile très concrétionnée quand sur notre gauche le bruissement de l’eau courante nous indique la partie active, 20 mètres plus bas. Nous venons donc de shunter le siphon et de retrouver l’actif de la rivière de la Nam Fuang. Prises de mesures, photos souvenirs et nous filons à la pirogue. Il est 11h30 . C’est le moment de faire demi-tour récupérer JB et Adrien si l’on veut rentrer avant la nuit.
Nous apercevons leur lumière tout en haut de la partie sèche de la grotte. Ils ont escaladé l’amas de blocs rocheux qui encombre cette partie. Une rampe en bois de 80 mètres de long rejoint une lucarne au plafond. Je les vois s’y engouffrer et disparaître. Nous faisons des essais de photo avec Clément qui m’initie aux rudiments de la technique HDR. Nous errons sur une zone plate sur laquelle sont entassés des sacs de guano en attente d’être embarqués pour on ne sait où. La grotte a visiblement servi à l’exploitation du guano de chauve souris comme en témoignent la rampe, le système d’éclairage et les sacs pleins abandonnés. Etrange équipement industriel dans cet univers lunaire…
1h30 plus tard nos deux compagnons reviennent exhaltés par leurs découvertes. Ils ont eux aussi débouché au jour de l’autre côté de la falaise dans un porche de 200 mètres de large.
Le chemin du retour se fait assez rapidement dans le sens du courant mais n’en reste pas moins impressionnant. Les rapides sont négociés à coups d’accélérateur. Le pilote joue de la poignée des gazs pour faire pivoter la pirogue entre les rochers. La barreur avant godille à l’infini pour maintenir la proue du bateau dans l’axe. Le moteur pétarade à tout rompre alors que nous filons à grande vitesse au ras de l’eau dans les gorges envahies de jungle de la Nam Fuang. La joie de la découverte surpasse la fatigue. Les prochaines heures de moto ne nous font plus peur. Il faut rentrer fissa raconter tout ça aux autres !
Le retour à moto sera négocié en 3h30 comprenant l’option « chute dans la poussière » pour JB. Photos, vidéos, points topo, tout est centralisé immédiatement et comptabilisé. Nous fêtons les km de topo réalisés.
Une douche et un repas chaud plus tard, nous sommes déjà moins vaillants. La fatigue reprend le dessus et nous rappelle la dernière mission du jour : dormir pour recharger les batteries et repartir.