On dira que cette fois, Régis et moi avons tiré la paille la plus courte. Flemmite ; l’objectif est tellement incertain qu’on a reporté le départ d’un jour.
En bref, la mission c’est shunter des piroguiers trop gourmands en dénichant une toute nouvelle piste pour aller directement à notre grotte.
On a trois jours pour y aller, spéléoter et revenir. Les obstacles potentiels sont un itinéraire casse-gueule voire introuvable, des militaires récalcitrants sur la route et une rivière souterraine au débit trop fort pour nos bateaux gonflables.
Après deux heures de piste poussiéreuse, un roulement à billes defaillant de Régis nous impose un arrêt d’une demi-heure. Alors que le toujours présent mécano lao de bord de route martèle sur l’essieu, Régis remarque :
“Y a un cochon qui vient de passer avec un gros truc dans la bouche…”
Et meerde, j’ai laisser traîner mon kit mal fermé contre ma moto et les porcelets se sont baffrés de nos bananes et de nos deux casse-dalles omelette/concombre. Pour les trois prochains jours, il ne nous reste plus que des noodles et des biscuits.
La piste choisie prend la bonne direction, mais après avoir passé une mine gérée par des chinois, elle devient trop chaotique et pentue pour nos motos. On poursuit à pied sous un soleil au zénith.
Au petit matin, après un bivouac improvisé sous un abri de chasseur, nous atteignons le poste militaire juste en aval de la grotte. Contre toute attente, nous sommes bien accueillis. Un petit sergent rondelet accepte de nous accompagner jusqu’au départ du sentier vers ‘Tham Koung’, sa Kalach horizontale dans le dos pour soulager les reins.
Régis et moi poursuivons seuls sur une sente ténue qui se perd dans les brûlis puis la forêt. Régis a acheté 9 machettes pour les ramener en France, mais on a oublié d’en prendre ne serait-ce qu’une pour ici. La progression est lente. Nous bifurquons finalement vers un affluent repéré sur les images satellite. Dans le lit du ruisseau, bassins profonds et troncs renversés nous ogligent à quelques acrobaties mais nous atteignons finalement l’entrée de la grotte.
C’est une rivière large de 50 m qui émerge de la falaise. Des bateaux sont nécessaires pour poursuivre. Pas de problème, on a tout prévu. Enfin, presque. La pompe à air se casse en deux dans mes mains. J’y suis pour rien, vraiment ! De son côté, Régis, après quelques minutes d’ hyper-ventilation, réalise que son Sevylor est creuvé. Et comme on a pas de rustines…
La chance sourit aux audacieux, dit-on. Voilà une pirogue qui remonte la rivière. Les pêcheurs acceptent de nous déposer au fond de la grotte, à un kilomètre du porche. En faisant des petits moulinets de l’index autour de mon poignet, on se donne rendez-vous dans quatre heures à ce débarcadère souterrain.
Le temps défile pendant que nous crapahutons et topotons diverses galeries amont. Nous revenons tout en sueur mais à l’heure au rendez-vous.
Dans le noir, au bord de l’eau, il n’y a que nous. Ploc, ploc. Petit moment de solitude.
Il nous reste à manger ? Non. Ça serait possible de rentrer à la nage ? Oui, on pourrait même faire des pauses de temps en temps sur des concrétions. Tu abandonnerait quoi toi ? Baudrier ? Bah oui. Chaussures, kit ?
Mais pourquoi ils reviendraient pas au juste ? Ah, mince…, dans la précipitation, on a laissé tous nos sous à l’extérieur. Il y a bien 200€. Si ça se trouve, ils se sont barrés avec… C’est une bonne raison de ne pas revenir, ça. Oh merde, ils ont peut-être mal compris les tours de doigts. Tu vas voir qu’ils vont pas revenir avant 4 jours !
Des moments comme ceux-là font apprécier différemment un petit bourdonnement dans le noir, un reflet de lampe sur l’eau, l’air moite de l’après-midi, la poussière orange de la piste, la Bier Lao de l’apéro.