Tôt matin, un coq se met à chanter, il a du se tromper d’heure car la nuit est encore sombre. Ses collègues du village lui répondent. Difficile de ne rien entendre, difficile de dormir. Il n’est pourtant que trois ou quatre heures.
Nous dormons chez l’habitant alors que faire d’autre que d’attendre en somnolant que les femmes se lèvent avant six heures pour allumer un petit feu et mettre à chauffer la première marmite d’eau.
Nous avons convenu de partir à six heures aux premières lueurs du jour. Mais le temps que Mi arrive, que nous soyons en tenue de combat, que le matériel soit prêt, que le barreur arrive avec le réservoir d’essence, qu’on prenne place sur la pirogue, frêle esquif qui va remonter le courant de la rivière, il sera sept heures du matin lorsque nous franchirons la ligne de départ sous le pont en bois qui remplace depuis un ou deux ans le passage à gué sur la Nam Phuang.
Nous quittons donc Ban Nam Phuang dans les brumes matinales, calés tous les quatre avec nos sacs dans la pirogue habilement menée par un barreur au moteur et Mi en proue, chargé de signaler les obstacles et de corriger éventuellement la trajectoire.
Les rapides et les secteurs calmes se succèdent pendant deux heures entre deux murailles de forêt dense. Cette remontée est magique. L’eau est verte plutôt opaque. Les berges à peine accessible tant la végétation est luxuriante. De nombreux troncs d’arbres morts gisent dans le lit de la rivière et dépassent de l’eau.
Par endroits des bûcherons débitent les immenses arbres au bois rougeâtre.
Plus loin ce sont des jeunes qui pèchent avec des techniques bizarres, un courant électrique, ou un explosif…
Tout d’un coup, juste après un rapide délicat à remonter, nos guides accostent le bateau et nous demandent de descendre.
Pas plus d’un mètres de cailloux et c’est la montagne impénétrable. Nous avons évidemment tout laissé sur l’embarcation.
Nous regardons sans comprendre la pirogue redescendre le rapide, s’éloigner puis disparaître. Nous restons là plantés dans un endroit inaccessible, sans papiers, sans argent. On rigole un peu mais on se demande quand même ce qui se passe et quelle pourrait être la suite des événements !
Au bout de dix minutes on entend le bruit du moteur de la pirogue qui revient vers nous.
Nous embarquons et reprenons notre périple comme si de rien n’était. Quelques centaines de mètres plus loin, nouvel arrêt. Mi a repéré des poissons morts qui flottent près de la rive. Il les récupère. C’est probablement la raison de notre précédent arrêt.
En rentrant dans la grotte il y a sur la gauche un campement de pêcheurs. Mi y laissera sa cueillette à cuire et fumer et reprendra au retour les poissons récoltés.
Nous arrivons enfin à la première halte petit dèj, au campement des soldats censés surveiller et protéger la construction d‘un pont par les chinois.
Nous y restons peu. Nous allons commencer notre « travail ». La pirogue nous dépose à trois cent mètres du porche d’entrée, rive gauche, puis s’éloigne vers l’amont avec Guillaume et Marina qui vont poursuivre l’exploration inachevée de la veille.
A nous de jouer maintenant. Yves et moi sommes venus pour faire des photos et nous voici donc à pied d’œuvre. Au fur et à mesure que nous avançons vers les galeries supérieures, je propose quelques poses photographiques.
Dés la première station nous perdons dans l’eau un récepteur. Il faudra trouver le moyen de s’en passer. Je compterai « un, deux, trois » pour un déclenchement à la main, comme en Chine lorsque les apprentis photographes voulaient « copier » mes clichés.
Malgré ce handicap notre moisson photographique du jour sera très correcte.
II faut dire que nous avons les talkies walkies de Fred et la communication devient beaucoup plus aisée. Ça devient une routine : je regarde attentivement l’endroit ; je cherche les emplacements souhaitables des flashes et les éventuels contre-jours ; on prépare tout le matériel et c’est parti.
Il me reste à travailler la lumière (position et intensité) et affiner le cadrage.
Pour terminer, je propose une photo verticale en prévoyant une possible couverture de magazine. Aujourd’hui nous aurons quelques bonnes prises dans les immenses galeries supérieures. Les conditions sont idéales. Il fait bon, on se déplace dans des parties horizontales, il y a des endroits propres pour poser le matériel, nous communiquons facilement…
Il aurait juste fallu l’aide d’un assistant supplémentaire pour ajouter des personnages sur les immenses salles.
Mais le temps nous est compté car le rendez vous avec la pirogue est pour 16 heures. Il va nous manquer du temps pour finir la couverture photographique du réseau.
Nous arrivons à la rivière un peu avant 17 heures alors que la pirogue venait d’accoster.
La descente de la Nam Phuang durera une bonne heure.
Une heure de navigation étrangement belle, rapide, humide parfois dans les rapides, en fond d’une vallée profonde qui serpente entre ces murailles d’arbres géants.
Nous arrivons à la tombée du jour.
Nous réglons le million convenu en début de séjour où il a fallu des heures de négociations pénibles car ils en demandent toujours plus.
La navigation a été difficile et « bons princes » nous donnons une gratification à Mi avant qu’il ne se plaigne…
Marina et Guillaume repartent sur leur engin (en moto). La nuit tombe, mais nous avons décidé de rentrer. Il n’y a plus de véhicule pour Miang Med ce soir, qu’à cela ne tienne, nous partirons à pied, un bon sac sur le dos et de nuit.
Mi nous suggère de rester au village pour y passer la nuit et repartir demain tôt.
Mais pour ne pas avoir à négocier à l’infini, nous partons. Tout le monde nous regarde partir, surpris. Ils n’ont sans doute jamais vu ça.
La route est une piste poussiéreuse. Il est plus de 19 heures. Nous marchons sans rencontrer âme qui vive sur la piste à forte pente qui s’élève dans une jungle impénétrable et par une nuit noire où quelques étoiles brillent. Mars la rouge surveille notre marche nocturne, lente mais sure. Les bruits de la forêt nous accompagnent. Un véritable plaisir. Nous prenons le temps de manger trois bouts de pain avec quelques sardines, qu’Yves prudent avait prévus dans son sac.
Notre retour à pieds semble une marche d’un autre temps : vers 21 heures nos compagnons s’inquiètent et nous envoient des messages. Mi également.
Vers 22 heures, alors que nous sommes sur la fin de la descente, nous voyons arriver deux motos. Fred et Guillaume viennent à notre rencontre. Dans la plaine ils nous ramènent sur Miang Med où les autres nous attendent. Cette longue journée s’achève par une bonne douche et des échanges sur nos découvertes.